lundi 7 septembre 2015

[Lecture #1] La modification - Michel Butor : Un voyage d'adieu

 Michel Butor est un romancier, poète et essayiste français contemporain né en 1926. La Modification est un roman publié en 1957 aux Editions de Minuit. C'est un roman qui se rapproche du genre philosophique, l'auteur ayant lui-même été professeur de philosophie. Le thème principal est donc le changement personnel qui intervient à partir d'une réflexion sur soi.


La quatrième de couverture :

    Lors d'un aller Paris-Rome en train, un passager remet en question son existence, ses choix, avant de se résigner à la médiocrité. Léon Delmont, 45 ans, est un homme qui a réussi. Pourtant, il étouffe auprès d'une épouse acariâtre et de quatre enfants qui sont pour lui des étrangers. Tandis qu'il se rend à Rome, comme chaque mois, il repense à sa maîtresse, la belle romaine, Cécile, qu'il a l'intention de faire enfin venir à Paris pour qu'ils vivent ouvertement ensemble. Il a donc pris une décision. Mais la fatigue du voyage en troisième classe et les souvenirs de nombreux autres voyages effectués seul, avec sa femme ou avec Cécile, vont peu à peu modifier cette décision. Avec La Modification, récompensé par le prix Renaudot en 1957, Michel Butor réussit le pari de raconter le bouleversement d'une vie à l'intérieur d'un compartiment, en l'espace de vingt heures. Le style extrêmement original, néo-réaliste, partagé entre le présent du voyage en train, le passé immédiat et le futur proche, caractéristique du Nouveau roman, est notamment remarquable par l'utilisation de la deuxième personne du pluriel : "Vous êtes encore transi de l'humidité froide qui vous a saisi lorsque vous êtes sorti du wagon". De ce huis clos, Delmont n'est pas le seul à sortir "modifié" : le lecteur, directement interpellé par l'auteur, reste subjugué. --Céline Darner 


Mon analyse : 

    Durant un voyage en train à la fin duquel le narrateur, Delmont, a pour projet d'enlever sa maîtresse à Rome pour la ramener près de lui à Paris, le lecteur est plongé dans les pensées de Delmont. Si dans la pensée commune, la quarantaine est perçue comme un âge charnière dans la vie, c'est clairement le parti-pris de l'auteur dans ce roman. Le narrateur fait le bilan de sa vie. Le premier tiers revient sur un bilan de la vie familiale présente du narrateur, père de quatre enfants, marié avec une femme qu'il ne supporte plus. Leur mariage n'est plus qu'un simulacre qui se poursuit pour faire bonne figure dans un milieu social élevé. 


"Ne devriez-vous pas la troubler, leur quiétude, le leur dire, qu'il ne faut pas qu'ils s'imaginent avoir gagné, que vous l'aviez cru vous aussi avec toute la sincérité dont vous étiez capable alors, qu'il leur faut dès maintenant se préparer à se séparer, détruire entre eux tous ces préjugés qui viennent de leur milieu semblable au vôtre et qui, au moment des difficultés telles que celles que vous traversez, retarderont si longuement leur décision, leur délivrance quand il se sera produit dans cette Agnès ce qui s'est produit dans votre Henriette, quand ce mépris inexplicable aura envahi tous ses gestes, l'aura transformée pour lui en cadavre, quand il lui faudra à lui aussi chercher une autre femme pour essayer de recommencer, une autre femme qui apparaisse toute différente, comme la jeunesse gardée." (pensées du narrateur face à un couple de jeunes mariés)

Le second tiers est réservé aux souvenirs charnels de l'histoire hors mariage avec Cécile, jeune romaine. Les voyages à Rome sont d'abord perçus par le narrateur comme une bulle d'oxygène dans son quotidien parisien étouffé par une femme castratrice. Pourtant, la fin du voyage permet au narrateur de se rendre compte de son erreur grâce aux souvenirs des premiers temps de son histoire avec sa femme. Ils étaient comme il est à présent avec sa maîtresse. Si leur relation s'est dégradée, il prend conscience qu'il en est en grande partie responsable par son manque d'attention, ses tromperies, son travail trop prenant. Si sa relation lui apparaît aujourd'hui comme un enfer, rien ne lui assure que ce quotidien ne sera pas également fatal à sa relation avec Cécile. Le séjour à Rome ne servira donc pas à rejoindre sa maîtresse, mais à faire le deuil de cette histoire. Le narrateur sort grandi de ce voyage épuisant au sein d'un train de nuit dans une troisième classe inconfortable. Ses réflexions lui ont permis de prendre conscience de ses erreurs afin qu'il puisse repartir sur de bonnes bases à son retour à Paris.


"Au simple son de mes paroles, tes membres commencent à se convulser, comme déjà dévorés de vers. Ce n'est pas moi qui te condamne, ce sont tous ceux qui m'accompagnent et leurs ancêtres, ce sont tous ceux qui t'accompagnent et leurs enfants."

  Le narrateur n'est pas le seul que ce roman bouleverse. Par l'usage du vouvoiement, le narrateur semble s'adresser directement au lecteur, qui ne peut alors que s'identifier et se sentir concerné par ce dilemme. Les réflexions personnelles du narrateur sont appropriées par le lecteur qui ainsi peut trouver des échos dans sa propre histoire. Nul doute que certains infidèles peuvent prendre conscience de leur bêtise et se rendre compte que le problème peut venir d'eux plutôt que de leur partenaire. Les personnes fidèles peuvent aussi ouvrir un oeil nouveau sur leur histoire et redonner vie à une histoire d'amour qui peut s’essouffler sous le manque d'attentions. Mais le texte invite, au delà du couple, à porter un regard objectif sur soi-même afin de se remettre en question. Butor remet ainsi au goût du jour la catharsis théâtrale en forçant le lecteur à s'auto-analyser. 


Mon avis :

    Si le texte semble difficile à appréhender par la description qu'en fait le résumé, c'est tout l'inverse qui se passe à la lecture. L'utilisation du vouvoiement happe le lecteur au cœur de l'histoire et les réflexions du narrateur sont appropriées pour soi-même. Sans forcément s'en rendre compte, le lecteur en vient à mettre en parallèle sa propre histoire. Il m'est arrivé moi-même de lire pour moi certaines phrases et de me poser des questions sur ce que je suis et ma façon de me comporter avec mes proches.
  De ce fait, le lecteur sort bouleversé de cette histoire. Il lui est impossible d'être passif durant sa lecture. Le texte lui parle et devient sa propre histoire. L'auteur, par l'utilisation du vouvoiement, a donc fait ce choix d'intégration de son lecteur. Car après tout, un texte ne doit-il pas s'adresser à un lecteur pour exister ?

BUTOR Michel. La Modification. Paris : Editions de Minuit, 1980. 313 p.

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